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BILLETS 2018

SLAV: Fallait-il annuler la pièce de théâtre?...  -  par Editeur



Vous avez lu comme moi bien des réactions dans les médias à propos de la pièce de théâtre SLAV, mise en scène par Robert Lepage.
Certains déploraient qu’il n’y ait pas plus d’acteurs Noirs dans cette pièce qui traite d’esclavage. D’autres, plus virulents, y dénonçaient une appropriation culturelle. D’autres encore étaient tristes que la pièce soit retirée, trouvant normal que l’art n’appartienne à personne, surtout s'il permet d’exprimer de la compassion pour ceux qu’on met en scène.

J’allais rédiger mon point de vue sur la polémique soulevée par SLAV  -  que je n’ai pas eu l’occasion de voir encore  -  quand je tombe sur un article de Guillaume Bourgault-Côté: la pièce du casse-tête qui me manquait ! J’encourage chacun à lire cet article, qui enfin donne la parole à Lepage lui-même.

Un fil conducteur

Auparavant, j’aimerais situer mon fil conducteur: c'est la raison d’être d'avoir créé l’initiative Cultures au coeur, à Québec il y a cinq ans. Je la résumerais ainsi pour les lecteurs moins familiers avec notre site: donner le goût de marcher dans les mocassins d’une autre culture, pour découvrir son cadeau, apprendre de sa différence, jusqu’à trouver comment créer quelque chose ensemble.
 

Laissons la parole à Robert Lepage

Bourgault-Côté cite des propos-clés de Lepage, qui nous amènent au coeur de ce qu'est le théâtre: «...jouer à être quelqu’un d’autre. Jouer à l’autre. Se glisser dans la peau de l’autre afin d’essayer de le comprendre et, par le fait même, peut-être aussi se comprendre soi-même ». Devient alors naturel d’emprunter à l’autre «...son allure, sa voix, son accent et même à l’occasion son genre».

Il le cite encore plus avant : «...[Là] où il ne nous est plus permis de nous glisser dans la peau de l’autre [dans la pratique théâtrale], où il nous est interdit de nous reconnaître dans l’autre, le théâtre s’en trouve dénaturé, empêché d’accomplir sa fonction première, et perd sa raison d’être. »
 

Devenir citoyens planétaires

Nous sommes à un moment charnière dans l’aventure humaine : toutes les vérités sortent et doivent sortir, pour que nos sociétés et leurs citoyens sachent, comprennent, puis se mobilisent pour lancer haut et fort «Nous ne voulons plus de ça!...» et alors qu’ils s’unissent pour donner vie à un nouveau projet de société  -  cette fois autour d’un sentiment d’appartenance planétaire.

Je suis moi aussi sensible à donner la parole aux premiers concernés, autant qu'on le peut. Par exemple, j’étais heureux d’apprendre que les communautés autochtones au Québec sont en train de se mobiliser pour se doter de leur propre système d’encadrement des jeunes contrevenants  -  alors que ceux-ci sont encore nombreux à se retrouver à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), tandis que leur communauté se sent dépossédée.

Animateur interculturel, j’essaie sans cesse de dépasser les conversations de salon entre gens de cultures différentes, pour créer des occasions d’empathie qui placent la rencontre au niveau du coeur. Par exemple en duos on y joue à exprimer ce que l’autre peut bien penser au fond de lui-même. Cet autre peut être un voisin de palier, ou un employeur potentiel, peu importe.
J’ai même simulé un personnage hybride, au moment d'accueillir un groupe arabo-musulman, il n’y a pas si longtemps, en disant que sur mon passeport du coeur je m’appelle Mohamed Tremblay. Lorsque j’ai demandé à un membre du groupe si je risquais de vexer des gens, il m’a répondu avec un large sourire : «...Pas du tout, on sent votre affection».
 

Nous ouvrir ...de façon digeste

Bien sûr, nous rêvons tous du grand soir, où nous aurons oublié que je suis Blanc et que l’autre est Noir  -  comme les enfants qui courent ensemble à la garderie et qui ne s’en rendent même pas compte. Mais nos conditionnements culturels de longue date nous demandent des transitions. Lepage le dit lui même, cité encore par Bourgault-Côté : « Il est bien évident que tout nouveau spectacle comporte son lot de maladresses, de ratés et de mauvais choix. Mais […] le théâtre est un art vivant, qui permet à une œuvre d’être en constante évolution, en perpétuelle réécriture au contact du public et de ses réactions, et de corriger le tir au fil des représentations.» Un art vivant... que j'aime cette expression !

Lorsque des Québécois osent dire tout haut ce que d’autres aussi pensent tout bas, à savoir qu’ils ont peur d’être changés par les immigrants, ils nous amènent justement à notre prochain rendez-vous, qui devient urgent : façonner une société où chacun reconnaisse une partie de lui-même. Moi Québécois de souche, je ne serai plus tout à fait le même, et mon voisin Québécois d’adoption lui non plus  -  tout comme l’enfant métissé ne ressemble plus tout à fait ni à sa mère ni à son père. Tout tient à un enjeu: développer un sentiment d'appartenance à plus large, où il devient normal d'avoir à changer quelque chose de soi...
 

La controverse actuelle autour de SLAV  -  tout comme #MeToo ou la tuerie dans une école de Floride l’ont fait  -  a au moins ça de bon qu'elle nous pousse à débattre, et de là à envisager d'autres possibles. À réconcilier les apparents contraires, pour monter plus haut ensemble... Oui, il nous faut donner davantage la parole aux gens des autres cultures parmi nous: au théâtre, dans les téléromans, dans les rôles publics... Mais oui aussi, nous devons préserver l’expression libérée, sans tout de suite la taxer d’islamophobie ou de racisme, et maintenant d'appropriation culturelle.
Gardons bien en vue notre boussole commune: arriver à ce que de plus en plus de gens autour de nous disent spontanément eux aussi : «chez nous, c'est ici» et que l'intérêt grandisse de le vivre ensemble.


Denis Breton



Vous avez lu comme moi bien des réactions dans les médias à propos de la pièce de théâtre SLAV, mise en scène par Robert Lepage.
Certains déploraient qu’il n’y ait pas plus d’acteurs Noirs dans cette pièce qui traite d’esclavage. D’autres, plus virulents, y dénonçaient une appropriation culturelle. D’autres encore étaient tristes que la pièce soit retirée, trouvant normal que l’art n’appartienne à personne, surtout s'il permet d’exprimer de la compassion pour ceux qu’on met en scène.

J’allais rédiger mon point de vue sur la polémique soulevée par SLAV  -  que je n’ai pas eu l’occasion de voir encore  -  quand je tombe sur un article de Guillaume Bourgault-Côté: la pièce du casse-tête qui me manquait ! J’encourage chacun à lire cet article, qui enfin donne la parole à Lepage lui-même.

Un fil conducteur

Auparavant, j’aimerais situer mon fil conducteur: c'est la raison d’être d'avoir créé l’initiative Cultures au coeur, à Québec il y a cinq ans. Je la résumerais ainsi pour les lecteurs moins familiers avec notre site: donner le goût de marcher dans les mocassins d’une autre culture, pour découvrir son cadeau, apprendre de sa différence, jusqu’à trouver comment créer quelque chose ensemble.
 

Laissons la parole à Robert Lepage

Bourgault-Côté cite des propos-clés de Lepage, qui nous amènent au coeur de ce qu'est le théâtre: «...jouer à être quelqu’un d’autre. Jouer à l’autre. Se glisser dans la peau de l’autre afin d’essayer de le comprendre et, par le fait même, peut-être aussi se comprendre soi-même ». Devient alors naturel d’emprunter à l’autre «...son allure, sa voix, son accent et même à l’occasion son genre».

Il le cite encore plus avant : «...[Là] où il ne nous est plus permis de nous glisser dans la peau de l’autre [dans la pratique théâtrale], où il nous est interdit de nous reconnaître dans l’autre, le théâtre s’en trouve dénaturé, empêché d’accomplir sa fonction première, et perd sa raison d’être. »
 

Devenir citoyens planétaires

Nous sommes à un moment charnière dans l’aventure humaine : toutes les vérités sortent et doivent sortir, pour que nos sociétés et leurs citoyens sachent, comprennent, puis se mobilisent pour lancer haut et fort «Nous ne voulons plus de ça!...» et alors qu’ils s’unissent pour donner vie à un nouveau projet de société  -  cette fois autour d’un sentiment d’appartenance planétaire.

Je suis moi aussi sensible à donner la parole aux premiers concernés, autant qu'on le peut. Par exemple, j’étais heureux d’apprendre que les communautés autochtones au Québec sont en train de se mobiliser pour se doter de leur propre système d’encadrement des jeunes contrevenants  -  alors que ceux-ci sont encore nombreux à se retrouver à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), tandis que leur communauté se sent dépossédée.

Animateur interculturel, j’essaie sans cesse de dépasser les conversations de salon entre gens de cultures différentes, pour créer des occasions d’empathie qui placent la rencontre au niveau du coeur. Par exemple en duos on y joue à exprimer ce que l’autre peut bien penser au fond de lui-même. Cet autre peut être un voisin de palier, ou un employeur potentiel, peu importe.
J’ai même simulé un personnage hybride, au moment d'accueillir un groupe arabo-musulman, il n’y a pas si longtemps, en disant que sur mon passeport du coeur je m’appelle Mohamed Tremblay. Lorsque j’ai demandé à un membre du groupe si je risquais de vexer des gens, il m’a répondu avec un large sourire : «...Pas du tout, on sent votre affection».
 

Nous ouvrir ...de façon digeste

Bien sûr, nous rêvons tous du grand soir, où nous aurons oublié que je suis Blanc et que l’autre est Noir  -  comme les enfants qui courent ensemble à la garderie et qui ne s’en rendent même pas compte. Mais nos conditionnements culturels de longue date nous demandent des transitions. Lepage le dit lui même, cité encore par Bourgault-Côté : « Il est bien évident que tout nouveau spectacle comporte son lot de maladresses, de ratés et de mauvais choix. Mais […] le théâtre est un art vivant, qui permet à une œuvre d’être en constante évolution, en perpétuelle réécriture au contact du public et de ses réactions, et de corriger le tir au fil des représentations.» Un art vivant... que j'aime cette expression !

Lorsque des Québécois osent dire tout haut ce que d’autres aussi pensent tout bas, à savoir qu’ils ont peur d’être changés par les immigrants, ils nous amènent justement à notre prochain rendez-vous, qui devient urgent : façonner une société où chacun reconnaisse une partie de lui-même. Moi Québécois de souche, je ne serai plus tout à fait le même, et mon voisin Québécois d’adoption lui non plus  -  tout comme l’enfant métissé ne ressemble plus tout à fait ni à sa mère ni à son père. Tout tient à un enjeu: développer un sentiment d'appartenance à plus large, où il devient normal d'avoir à changer quelque chose de soi...
 

La controverse actuelle autour de SLAV  -  tout comme #MeToo ou la tuerie dans une école de Floride l’ont fait  -  a au moins ça de bon qu'elle nous pousse à débattre, et de là à envisager d'autres possibles. À réconcilier les apparents contraires, pour monter plus haut ensemble... Oui, il nous faut donner davantage la parole aux gens des autres cultures parmi nous: au théâtre, dans les téléromans, dans les rôles publics... Mais oui aussi, nous devons préserver l’expression libérée, sans tout de suite la taxer d’islamophobie ou de racisme, et maintenant d'appropriation culturelle.
Gardons bien en vue notre boussole commune: arriver à ce que de plus en plus de gens autour de nous disent spontanément eux aussi : «chez nous, c'est ici» et que l'intérêt grandisse de le vivre ensemble.


Denis Breton

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Publié le 2018/07/06 - 18:50   | Tous les billets | Prévisualiser...   Imprimer...   | Haut


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Dernière mise à jour: 7 février 2019